Michel de Blois, Étudiant doctorant, Université de Montréal
Courriel : michel.de.blois@umontreal.ca
et
Pierre De Coninck, Ph. D., Professeur agrégé, Université de Montréal
Courriel : pierre.de.coninck@umontreal.ca
L’absence marquée des activités de conception visant la problématisation et l’exploration de ces possibles est une résultante de la persistance de cadres théoriques et méthodologiques dans lesquels baigne la conduite des projets. Une reconsidération des approches et des théories, organisationnelles et de conception, qui animent la conduite de projet, par le biais d’une « pensée par le design » (Design Thinking) est souhaitable. L’objectif consiste à étudier ce processus de design par la conduite du projet, et par extension la notion de projet organisant, par la pratique du projet. La procédure propose un assemblage de modèles existants sous la forme d’une boîte à outils pour la pensée par le design. La méthodologie de la recherche-projet et l’analyse qualitative sont privilégiées et articulées dans un exercice récursif. L’analyse en parallèle du projet et du protocole de mise en projet, apporte une contribution envers l’amélioration des protocoles destinés aux projets d’aménagement.
1. Le projet : intentions, organisation, finalités
« L’avenir n’est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n’a pas à le prévoir mais à le permettre. »
Saint-Exupéry
Le processus de design-construction (Bibby 2003; POT 2005), pris comme exemple de la complexité de la dynamique des acteurs au sein des organisations tout comme de celle dans la conduite de projet, démontre que, dans la pratique, l’acteur n’est pas considéré comme « donnée du projet », ni comme moteur du déroulement. Une approche par le design – management by design (Bolland & Collopy, 2004) – se propose de constituer une fenêtre sur le projet et d’en exposer une compréhension qui redistribue les enjeux des acteurs, portés par leurs intentions, à travers la « conduite de projet » qui s’opère, elle aussi, par le design (Findeli et Bousbaci, 2005; Nelson & Stölterman, 2003)
Une articulation des principaux enjeux de la conduite de projet – intention, organisation, finalité – effectuée à l’aide des théories et concepts qui composent cette conduite permet de mettre en lumière le rôle de l’acteur, d’une part, et les concepts d’organisation en relation au projet, d’autre part (Crozier et Friedberg, 1977; Mintzberg, 1979, 1983, 1989; Boutinet, 1990, 2005). Le projet de l’environnement construit est ici considéré comme étant un amalgame d’ensembles organisationnels et de projets de développement; le tout animé par une dynamique d’acteurs.
La présente recherche prend donc pour objet le projet; le projet formalisé par l’organisation dynamique des acteurs – le construit d’action collective. La recherche tente aussi de faire une distinction importante entre, d’une part, les « organisations en projets » et, d’autre part, les « projets organisants ». Pour ce faire, la mise en projet et le déterminisme, les intentions et les finalités servent les arguments du questionnement proposé.
Selon Crozier et Friedberg (1977), les projets sont en fait des construits d’action collective. La structuration des champs qu’ils instituent sont ces médiations inéluctables entre les fins que nous poursuivons, d’une part, et les « moyens » humains que nous sommes obligés d’employer pour les atteindre, d’autre part. À cet effet, une place importante est réservée à la gestion de l’incertitude et du non prévisible. La nécessité de confronter certains antagonismes – projets individuels, projets organisationnels – laisse donc beaucoup de place à l’exploration de ce laissé pour compte. L’appréhension de l’incertitude s’inscrit en opposition à la gestion du risque qui, elle, est abordée par les sciences plus traditionnelles de la gestion et des probabilités.
Le designer-concepteur doit ainsi pouvoir composer avec le contexte immédiat dans lequel s’insère son action. À cet effet, Gray et Hughes (2001) confirment que la complexité du processus de design-construction, couplée à l'incertitude relative à la nature itérative de l’activité de design nécessitent des efforts significatifs de gestion pour la réussite des projets. C’est pourquoi un volet important de ce contexte est représenté par les structures organisationnelles et procédurales; lesquelles limitent le rayon d’action du concepteur. Ce contexte rigide est mal adapté à l’activité de conception; activité que l’on peine encore à comprendre de surcroît (Kharu & Lahdenpera, 1999).
Le design demeure encore simplement un outil mis au service de l’atteinte d’objectifs organisationnels traditionnels, dont ceux reliés au rendement. Alors, si la conduite de projet est, en effet, une activité de design, pourquoi le projet, dans la pratique, est-il encore perçu principalement comme étant une activité de gestion?
Cette pratique du design et de la conduite de projet est aussi étudiée du point de vue des positions respectives de ses acteurs – positions disciplinaires, d’intentions et de rôles – d’une part, et des concepts d’organisations et des structures organisationnelles du projet, d’autre part.
La plupart des praticiens et des chercheurs se rejoignent sur le fait qu’une coopération élargie est nécessaire entre les disciplines. La multidisciplinarité est appelée à évoluer vers une transdisciplinarité mais peu d’acteurs peuvent s’entendre sur une définition de ce que représente une vision globale, de même, peu de praticiens saisissent les mécanismes qui favorisent l’émergence initiée par cette posture transdisciplinaire (De Coninck, 1996).
C’est par des constats de déficiences, ou « d’effets pervers », qu’apparaît la nécessité de repenser certains processus régissant la pratique. Il convient donc de réintroduire dans le processus cette pensée réflexive – réflexion en action – afin de bonifier la conception en amont, en cours et en aval du projet (Findeli et Bousbaci, 2005), par la considération des dimensions laissées pour compte dans un processus standard.
2. Les notions d’organisation dans le projet
Les typologies organisationnelles ne sont pas immuables, et rares sont les organisations qui n’appartiennent qu’à une seule catégorie. Aussi, certaines d’entre elles présentent des anomalies; elles possèdent les caractéristiques d’une configuration tout en étant aussi ancrée dans une autre typologie. Ces anomalies mènent à l’exploration des forces internes à l’organisation qui conditionnent ces configurations. À l’aide des schémas types, il est possible de modéliser ces forces à l’intérieur d’une organisation. Aussi il conviendrait, avant d’entrevoir et de concevoir les organisations, de « traiter autant les formes que les forces » (Mintzberg, 1990, p.171). Le « pentagone intégré » (opus cit., p. 372) met en relations les forces prédominantes qui émergent pour chaque configuration type, permettant d’en articuler les formes. Cette articulation débouche ensuite sur une modélisation inter-organisationnelle recherchée en situation de projet complexe.
À l’inverse, en partant des objectifs pressentis d’un projet, et déterminés en fonction de critères spécifiques – comme, par exemple, opérationnels, stratégiques, économiques, sociaux – à l’aide de méthodes et de modèles, tels la méthodologie des systèmes souples (SSM), l’«Éclipse de l’Objet» (Findeli et Bousbaci, 2005) ou la «Rose des Vents» (Boutinet, 2004), il est possible d’identifier les forces ou une combinaison de ces forces nécessaires à l’atteinte de ces objectifs et ainsi d’identifier les configurations organisationnelles les plus adéquates qui s’imposent pour remplir la tâche.
Aussi convient-il de considérer ces deux aspects, celui d’organisation-structurante et de fonction-organisante. « Modéliser un système, un système complexe, c’est d’abord modéliser un système d’actions » (Le Moigne, 1990).
L'organisation est donc une propriété clef de tout système (Le Moigne, 1990; Morin, 1977). Sans organisation, il n'y a que chaos (situation de haute entropie). L'organisation se manifeste par le fait que tout système peut être décomposé en un certain nombre de sous-systèmes, soit en modules et niveaux. L’approche organisationnelle de Mintzberg (1979, pp. 35-64) démontre bien la variété de ces sous-systèmes – systèmes de communication formelle et informelle, d’autorité, de jeux d’acteurs, de production – présents à l’intérieur des organisations. Ces sous-systèmes sont, par la suite, transposés partiellement à l’intérieur de systèmes organisant, comme les projets, pour former des systèmes de systèmes.
3. Le projet organisant
Il convient d’insister sur la nécessité d’identifier et de comprendre ces actions « organisantes » et « finalisantes », celles que l’on retrouve tant dans l’acte de conception qu’au sein du projet organisant. Car concevoir le projet et l’organisation constitue les deux faces d’un même concept. Un projet s’organise et il organise; l’organisation projette et se projette. Le projet relie les idées, les intentions les visées, les acteurs, il produit du projet et des objets et il se maintient dans l’accomplissement; tout comme l’organisation qui opère cette conjonction intelligible des acteurs et de l’action.
4. Les rôles de l’acteur
Le dilemme est de taille car pour faire valoir son point de vue, l’acteur doit pouvoir, soit insérer ses intentions dans la structure et les normes en place, soit parvenir à les modifier. Le détenteur de pouvoir peut facilement justifier une position en évoquant justement cette structure et ces normes. Triples en-jeux que ceux de l’organisation, du projet et de l’individu-acteur, et triple postures de l’acteur (a, a’ et a ‘’).
Il ressort aussi que les organisations sont encore perçues, analysées et étudiées en vase clos, comme des entités autonomes et isolées. Les interactions entre les différents types d’organisations au sein des projets de l’environnement construit sont peu abordées ni même considérées, si ce n’est sous forme d’organigramme qui en dit peu sur la complexité du système et des interactions. Il s’avère aussi que la modélisation du rôle de l’acteur – dont l’aspect dynamique – est très complexe et que les méthodologies et les modèles conventionnels actuels employés pour la conduite des projets par les
Le concept du « projet-organisant » demeure embryonnaire et ne pourra se préciser qu’en attaquant des sujets que l’on peut qualifier de « wicked problems » (Simon, 1947; Rittel & Webber, 1973). Les plus évidents englobent les suivants. Il faut rechercher une meilleure compréhension du rôle de l’acteur, porteur de projets individuels. Cette compréhension exige une modélisation plus « réaliste » de la dynamique intra- et inter-organisationnelles – les typologies organisationnelles du projet – par le concept des forces et formes. L’élaboration d’un protocole et la formulation d’une approche par le design, par la mise à l’essai des modèles pressentis, dont ceux qui prônent une approche par le tout. Définir une vision et une conduite interdisciplinaire qui doit s’ancrer dans la pratique du projet. Militer pour une meilleure pondération des pouvoirs disciplinaires et l’inclusion dans le cercle de prise de décision les disciplines non gardées.
À la base de ce programme, qui anticipe une conciliation entre gestion et design, il est nécessaire d’entrevoir une reformulation de la « syntaxe » du management en regard de la gestion de projet et du design-management, et à l’inverse, celle du design pour le management, sans quoi une posture interdisciplinaire n’est pas envisageable.
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