Dispositifs narratifs et constitution du sujet :l’utilisation de l’enquête de terrain dans les projets prospectifs de Philips

Jean Schneider
Chargé de projet, APCI (Agence pour la Promotion de la Création Industrielle)


On assiste depuis une petite décennie à un engouement pour les approches « ethnographiques » de l’usage au bénéfice de la conception, voire de la co-conception, de produits innovants et de services.
Cet article s’attache à identifier quel type de sujet est constitué et représenté dans les projets prospectifs (Next Simplicity, 2005 ; The Simplicity event, 2006, Philips), et sous quelle(s) manière(s). L’analyse des outils de structuration ainsi que la déconstruction du discours accompagnant les projets conçus permet de discuter des limites du passage de méthodes d’observations à des méthodes de conception.

Design, innovation, ethnographie, usage.


Un intérêt accru pour l’observation de l’activité « ordinaire » des utilisateurs d’artefacts (logiciels, objets…) est apparu dans les années 80, autour notamment, des travaux de Lucy Suchman. Confinée dans un premier temps à l’ergonomie des logiciels, cette approche a progressivement percolé dans la pratique plus générale du design, notamment à la suite du regain de considération, au même moment, pour une approche sémiologique des formes (« Product semantics »). Finalement, quelques agences (Sonic Rim, Ideo…) se sont spécialisées dans le développement de cadres de travail spécifiques à l'usage des objets et ont élaborées des outils et des méthodes d’observations de plus en plus imités.

La division Design de Philips a, dès les années 90, commencé à s’approprier ces approches en recrutant des anthropogues, des sociologues et en suscitant par ailleurs des projets prospectifs (notamment « visions of the future »1995/96 ; « next simplicity » 2005, « the simplicity event » 2006). Ces projets ont des finalités internes à l’entreprise —qui ne sont pas étudiées ici— et servent aussi à déployer, par le biais d’expositions et de publications, un discours vers plusieurs publics. L’analyse des ouvrages accompagnant les deux derniers projets fait l’objet de cet article.
Ces documents, dans lesquels la mise en scène de l’usage est centrale, suivent une trajectoire en boucle, qui va d'un sujet initial, observé au plus près de son existence ordinaire, pour en faire le destinataire d'un nouvel objet. La question étudiée ici est la place relative des deux sujets : y a-t'il identité ou écart, et s'il y a écart, pourquoi ?

Le texte comporte trois parties : une présentation du matériau étudié et de ses fonctions, une description de la démarche décrite par Philips pour alimenter le processus de design prospectif. La troisième partie s'attachera à comparer la notion d'usage telle que mise en avant par Philips avec une sociologie de l’usage « non » biaisée. La confrontation de ces deux perspectives se fera essentiellement sur trois territoires : l’oikos et la technologie, l’espace domestique, le genre. En conclusion, la discussion portera sur les considérations méthodologiques, et la possibilité même pour des activités de design (ou de conception) de prendre en compte l’usage « réel » ou les pratiques, qui déterminent le sujet.

En Septembre 2004, le slogan « Sense and simplicity » a déterminé un nouveau positionnement stratégique de la marque Philips.

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