Xochitl Arias Gonzalez, Centre de Recherches Sémiotiques Université de Limoges
Nous allons explorer la possibilité d’établir un principe de pertinence pour l’interprétation de l’interaction sujet–objet à travers la gestualité, dans la mesure où c’est par le geste que l’univers du sujet se met en contact avec celui de l’objet. Pour ce faire, notre article met en rapport trois postulat fondamentaux de la sémiotique greimassienne : la générativité, et la prise en compte de l’expérience sensible comme le substrat de la construction sémiotique (Greimas, 1987) ; plus précisément, la conception du corps sensible comme un médiateur sémiotique entre soi et le monde (Fontanille, 2004). Nous allons articuler ces principes dans l’analyse du rapport entre l’automobile et le conducteur.
1. L’automobile, parangon du design
1.1 Les liens entre le design et l’automobile sont d’origine
Quelle que soit la perspective que l’on adopte, l’automobile se présente comme un parangon pour la recherche sur le design. Elle illustre à la perfection, en effet, la tension existant entre fonction économique, esthétique et technique inhérente à cette activité créative.
Nous allons explorer la possibilité d’établir un principe de pertinence pour l’interprétation de l’interaction sujet–objet à travers la gestualité, dans la mesure où c’est par le geste que l’univers du sujet se met en contact avec celui de l’objet. Pour ce faire, notre article met en rapport trois postulat fondamentaux de la sémiotique greimassienne : la générativité, et la prise en compte de l’expérience sensible comme le substrat de la construction sémiotique (Greimas, 1987) ; plus précisément, la conception du corps sensible comme un médiateur sémiotique entre soi et le monde (Fontanille, 2004). Nous allons articuler ces principes dans l’analyse du rapport entre l’automobile et le conducteur.
1. L’automobile, parangon du design
1.1 Les liens entre le design et l’automobile sont d’origine
Quelle que soit la perspective que l’on adopte, l’automobile se présente comme un parangon pour la recherche sur le design. Elle illustre à la perfection, en effet, la tension existant entre fonction économique, esthétique et technique inhérente à cette activité créative.
En ce qui concerne la tension économique, l’automobile est un secteur que l’on pourrait qualifier de « conservateur », dans la mesure où les seules innovations technologiques qu’il encourage sont celles commandées par la logique économique globale (Chanaron et Lung, 1994 : 27).
En somme, la prééminence de la contrainte économique pour le design automobile a conduit ces dernières années à un retournement de situation qui est du plus grand intérêt pour notre réflexion sur l’usager dans le design.
1.2 L’usager est de retour dans la conception automobile
Le secteur automobile souffre aujourd’hui de sa condition emblématique dans le modèle économique ; en effet, s’il emploie autour de 10% de la population active dans les pays industrialisés, son activité économique est rendue difficile par un environnement hyperconcurrentiel, la saturation des marchés, sa dépendance vis à vis des matières premières… L’importance de l’innovation dans la conception de l’automobile, la place centrale qu’elle donne aujourd’hui à son usager et le rapport qu’elle garde entre l’amélioration de la fonction technique et le développement de la fonction esthétique (apparemment disloquées l’une de l’autre) font , tout compte fait, de l’automobile un objet d’étude inévitable pour la recherche dans le design, dans la mesure où son destin pourrait être aussi celui d’une certaine forme de faire le design.
2. L’usager conducteur et son discours : l’approche fictionnelle de la sémiotique textuelle
Les récits de conduite des conducteurs sont très parlants en ce qui concerne l’habitacle et, par ce biais, sur la fonction de l’objet. L’architecture intérieure de l’automobile devient ainsi le lieu où l’objet manifeste un caractère d’objet non plus statutaire, mais transitionnel.
Dans l’habitacle, la voiture est un lieu de passage. Non seulement d’un lieu à un autre, mais aussi d’une forme de vie à une autre. Dans le récit de conduite, le temps /du travail/ s’oppose au temps des /vacances/, et des /loisirs/. Plus encore, le /jour/ s’y oppose à la /nuit/, la voiture fait passer l’usager du /silence/ au /bruit/, de /la solitude/ à /la convivialité/ ou à l’inverse, selon les préférences de chacun. C’est donc dans l’habitacle que s’active la fonction réflexive de l’usager et c’est là que l’automobile peut devenir le véhicule de ce que Barthes avait jadis appelé un mythe (1957).
2.3 La voiture comme système semi-symbolique
La fonction de prothèse que représente la voiture ne peut donc que se diversifier en fonction d’un système de valeurs spécifique. D’un côté, le « design » automobile abrite les valeurs collectives (le statut social, la valeur marchande, les âges de la vie…). De l’autre, l’habitacle est le véhicule de la rêverie la plus intime (les désirs, les rêves, la peur). La forme extérieure de la voiture exprime un savoir–faire par rapport à la norme sociale (ou devoir–faire), alors que sa forme intérieure dit son pouvoir-faire relativement à un vouloir–faire individuel.
Les systèmes semi-symboliques construisent leur sens non pas en articulant un contenu à un signe (relation appelée « terme à terme »), mais à quelque chose de plus abstrait (relation « entre catégories »).La corrélation existant entre les systèmes de valeurs que sous-tendent l’habitacle et la ligne extérieure de la voiture « prouveraient » que la voiture est un objet signifiant.
3. Passer des mots aux actes, une approche « expérimentale » de la conduite
En somme, pour la vision sémiotique, le corps du sujet est un médiateur qui interprète le monde en s’y projetant. Chaque expérience de l’objet, considérée du point de vue ponctuel du contact sensible, est une interaction dans ce sens où elle « génère » une interprétation de Soi comme acteur dans le monde (Fontanille 2004). L’expérience de l’objet peut donc être entendue comme « expérience d’Autrui » (Merleau-Ponty 1988). Le contact avec le monde fournit au sujet de l’action (dans ce cas, l’usager) une idée de sa propre situation. Lorsque le corps du sujet opère cette réflexion, on dit en sémiotique qu’il y a embrayage. Au contraire, lorsque le monde perçu demeure étranger, on parle de débrayage (Greimas et Courtés 1979, Floch 1982).
C’est à l’aide de ces deux concepts majeurs, générativité et embrayage, que nous avons traité la question suggérée par les organisateurs de cette réunion sur l’émergence de la figure du sujet–usager. Résumons la position de la sémiotique greimassienne en précisant que, pour elle, les figures de l’usager ne sont pas données, ni préexistantes à l’usage ou simplement construites… elles sont liées à l’expérience.
Une fois dans l’habitacle, nous assistons à l’émergence d’une forme de segmentation du sensible qui ne rentre pas dans les catégories eidétiques (/englobé/ vs /englobant/) ni optiques (opacité, brillance, couleur… ). Le segment de la surface vitrée s’oppose en effet au reste de l’espace perçu en cela que les objets qu’il contient sont en mouvement. Lors de la conduite, l’objet perçu est différent à chaque instant (par exemple, en termes de position): quand on conduit, on voit /défiler/ le paysage, la route /être engloutie/, le monde /disparaître/ derrière soi. Ce qui « apparaissait » devant les yeux « disparaît » pour réapparaître latéralement puis se réduit au seul contenu du sous‑objet /rétroviseur/. Non seulement les objets en mouvement sont, mais aussi ils font ; leur statut positionnel est donc complexe : une action est décomposée générativement comme un état 1 suivi d’un état 2,... C’est ainsi que le mouvement présuppose la transformation.
Une deuxième forme de catégorisation temporelle est donnée par le tempo du mouvement. Certains « objets‑partie » ou sous-objets de l’habitacle expérimentent aussi des mouvements : le corps du sujet‑conducteur et celui des sujets‑passagers, les commandes du tableau de bord, voire les charges du coffre. Cependant, ces mouvements, tout en étant des « transformations » de l’état des objets, n’ont pas le même statut que ceux des objets « contenus » dans la surface vitrée : les objets « débrayés » ont une existence très rapide pour l’appareil perceptif du sujet. Celui-ci voit des formes naître, croître et disparaître en quelques secondes. Les transformations des objets embrayés s’intègrent en revanche au temps général du transport, c’est pourquoi par rapport aux mouvements de l’extérieur elles ont lieu dans un tempo « lent ». Dans la voiture, le sujet ne peut pas saisir l’enchaînement (ou la continuité) de ces mouvements ni les limites de cet espace temporel, de la même manière qu’il ne peut pas saisir les objets mouvants débrayés en discontinu. La continuité perçue des objets mouvants débrayés fait de leurs « transformations » un récit. L’action d’usage comprend, par la perception du temps, une dimension narrative.
3.3 L’ articulation des valeurs de la sensorimotricité et la résonance des formes
Des phrases aussi courantes que « aller d’un point à A à un point B » comme fonction de l’automobile pour les usagers utilitaristes désengagés, la recherche d’une assise qui permette de se sentir « comme dans son canapé devant la télé » pour les usagers hédonistes ou « faire corps avec la voiture » comme synthèse des sensations de conduite pour les usagers experts, deviennent ainsi la partie visible d’un parcours d’appropriation de la conduite construit sur la base de l’expérience sensorielle de l’objet. à chacune des positions correspond un niveau d’appropriation , le plus bas étant celui qui prend l’automobile (objet) comme un outil et le plus haut celui qui fait de la voiture un véritable interlocuteur. Entre ces positions extrêmes, toutes les nuances trouvent une place, mais on peut présenter quatre logiques d’appropriation sur la base d’une valeur centrale fonctionnant comme un système logique
En somme, la prééminence de la contrainte économique pour le design automobile a conduit ces dernières années à un retournement de situation qui est du plus grand intérêt pour notre réflexion sur l’usager dans le design.
1.2 L’usager est de retour dans la conception automobile
Le secteur automobile souffre aujourd’hui de sa condition emblématique dans le modèle économique ; en effet, s’il emploie autour de 10% de la population active dans les pays industrialisés, son activité économique est rendue difficile par un environnement hyperconcurrentiel, la saturation des marchés, sa dépendance vis à vis des matières premières… L’importance de l’innovation dans la conception de l’automobile, la place centrale qu’elle donne aujourd’hui à son usager et le rapport qu’elle garde entre l’amélioration de la fonction technique et le développement de la fonction esthétique (apparemment disloquées l’une de l’autre) font , tout compte fait, de l’automobile un objet d’étude inévitable pour la recherche dans le design, dans la mesure où son destin pourrait être aussi celui d’une certaine forme de faire le design.
2. L’usager conducteur et son discours : l’approche fictionnelle de la sémiotique textuelle
Les récits de conduite des conducteurs sont très parlants en ce qui concerne l’habitacle et, par ce biais, sur la fonction de l’objet. L’architecture intérieure de l’automobile devient ainsi le lieu où l’objet manifeste un caractère d’objet non plus statutaire, mais transitionnel.
Dans l’habitacle, la voiture est un lieu de passage. Non seulement d’un lieu à un autre, mais aussi d’une forme de vie à une autre. Dans le récit de conduite, le temps /du travail/ s’oppose au temps des /vacances/, et des /loisirs/. Plus encore, le /jour/ s’y oppose à la /nuit/, la voiture fait passer l’usager du /silence/ au /bruit/, de /la solitude/ à /la convivialité/ ou à l’inverse, selon les préférences de chacun. C’est donc dans l’habitacle que s’active la fonction réflexive de l’usager et c’est là que l’automobile peut devenir le véhicule de ce que Barthes avait jadis appelé un mythe (1957).
2.3 La voiture comme système semi-symbolique
La fonction de prothèse que représente la voiture ne peut donc que se diversifier en fonction d’un système de valeurs spécifique. D’un côté, le « design » automobile abrite les valeurs collectives (le statut social, la valeur marchande, les âges de la vie…). De l’autre, l’habitacle est le véhicule de la rêverie la plus intime (les désirs, les rêves, la peur). La forme extérieure de la voiture exprime un savoir–faire par rapport à la norme sociale (ou devoir–faire), alors que sa forme intérieure dit son pouvoir-faire relativement à un vouloir–faire individuel.
Les systèmes semi-symboliques construisent leur sens non pas en articulant un contenu à un signe (relation appelée « terme à terme »), mais à quelque chose de plus abstrait (relation « entre catégories »).La corrélation existant entre les systèmes de valeurs que sous-tendent l’habitacle et la ligne extérieure de la voiture « prouveraient » que la voiture est un objet signifiant.
3. Passer des mots aux actes, une approche « expérimentale » de la conduite
En somme, pour la vision sémiotique, le corps du sujet est un médiateur qui interprète le monde en s’y projetant. Chaque expérience de l’objet, considérée du point de vue ponctuel du contact sensible, est une interaction dans ce sens où elle « génère » une interprétation de Soi comme acteur dans le monde (Fontanille 2004). L’expérience de l’objet peut donc être entendue comme « expérience d’Autrui » (Merleau-Ponty 1988). Le contact avec le monde fournit au sujet de l’action (dans ce cas, l’usager) une idée de sa propre situation. Lorsque le corps du sujet opère cette réflexion, on dit en sémiotique qu’il y a embrayage. Au contraire, lorsque le monde perçu demeure étranger, on parle de débrayage (Greimas et Courtés 1979, Floch 1982).
C’est à l’aide de ces deux concepts majeurs, générativité et embrayage, que nous avons traité la question suggérée par les organisateurs de cette réunion sur l’émergence de la figure du sujet–usager. Résumons la position de la sémiotique greimassienne en précisant que, pour elle, les figures de l’usager ne sont pas données, ni préexistantes à l’usage ou simplement construites… elles sont liées à l’expérience.
Une fois dans l’habitacle, nous assistons à l’émergence d’une forme de segmentation du sensible qui ne rentre pas dans les catégories eidétiques (/englobé/ vs /englobant/) ni optiques (opacité, brillance, couleur… ). Le segment de la surface vitrée s’oppose en effet au reste de l’espace perçu en cela que les objets qu’il contient sont en mouvement. Lors de la conduite, l’objet perçu est différent à chaque instant (par exemple, en termes de position): quand on conduit, on voit /défiler/ le paysage, la route /être engloutie/, le monde /disparaître/ derrière soi. Ce qui « apparaissait » devant les yeux « disparaît » pour réapparaître latéralement puis se réduit au seul contenu du sous‑objet /rétroviseur/. Non seulement les objets en mouvement sont, mais aussi ils font ; leur statut positionnel est donc complexe : une action est décomposée générativement comme un état 1 suivi d’un état 2,... C’est ainsi que le mouvement présuppose la transformation.
Une deuxième forme de catégorisation temporelle est donnée par le tempo du mouvement. Certains « objets‑partie » ou sous-objets de l’habitacle expérimentent aussi des mouvements : le corps du sujet‑conducteur et celui des sujets‑passagers, les commandes du tableau de bord, voire les charges du coffre. Cependant, ces mouvements, tout en étant des « transformations » de l’état des objets, n’ont pas le même statut que ceux des objets « contenus » dans la surface vitrée : les objets « débrayés » ont une existence très rapide pour l’appareil perceptif du sujet. Celui-ci voit des formes naître, croître et disparaître en quelques secondes. Les transformations des objets embrayés s’intègrent en revanche au temps général du transport, c’est pourquoi par rapport aux mouvements de l’extérieur elles ont lieu dans un tempo « lent ». Dans la voiture, le sujet ne peut pas saisir l’enchaînement (ou la continuité) de ces mouvements ni les limites de cet espace temporel, de la même manière qu’il ne peut pas saisir les objets mouvants débrayés en discontinu. La continuité perçue des objets mouvants débrayés fait de leurs « transformations » un récit. L’action d’usage comprend, par la perception du temps, une dimension narrative.
3.3 L’ articulation des valeurs de la sensorimotricité et la résonance des formes
Des phrases aussi courantes que « aller d’un point à A à un point B » comme fonction de l’automobile pour les usagers utilitaristes désengagés, la recherche d’une assise qui permette de se sentir « comme dans son canapé devant la télé » pour les usagers hédonistes ou « faire corps avec la voiture » comme synthèse des sensations de conduite pour les usagers experts, deviennent ainsi la partie visible d’un parcours d’appropriation de la conduite construit sur la base de l’expérience sensorielle de l’objet. à chacune des positions correspond un niveau d’appropriation , le plus bas étant celui qui prend l’automobile (objet) comme un outil et le plus haut celui qui fait de la voiture un véritable interlocuteur. Entre ces positions extrêmes, toutes les nuances trouvent une place, mais on peut présenter quatre logiques d’appropriation sur la base d’une valeur centrale fonctionnant comme un système logique
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire