Atelier n°2 « Méthodologie et Design»

  • Une étude ethnométhodologique sur le terrain d’une agence de design nouvelle et innovante centrée sur l’utilisateur
    Nathalie Simon
    Jean-François Bassereau
  • Dispositifs narratifs et constitution du sujet :
    l’utilisation de l’enquête de terrain dans les projets prospectifs de Philips
    Jean Schneider
    Chargé de projet, APCI (Agence pour la Promotion de la Création Industrielle)
  • Le projet organisant et la dynamique des acteurs dans le projet d’aménagement : pour une pensée du projet « par » le design
    Michel de Blois, Étudiant doctorant, Université de Montréal
  • Représentations et redesign de formes
    Jean-Pierre Mathieu AUDENCIA, Nantes et Jean-François Petiot IRCCYN, Nantes
  • Expérimenter l’automobile : une approche sémiotique de l’émergence du sujet sémiotique à partir de l’interaction sujet-objet
    Xochitl Arias Gonzalez, Centre de Recherches Sémiotiques Université de Limoges





Le sujet de travail pour le designer.

Une étude ethno méthodologique sur le terrain d'une agence de design nouvelle et innovante centrée sur l'utilisateur.

Nathalie Simon, Ethnologie des mondes contemporains, Université Paris VII
Jean-François Bassereau, CPI, ENSAM, Paris Tech


La thématique du « sujet dans le design » peut être étudiée au travers de la façon dont le designer appréhende le sujet pour lequel il conçoit des produits. Le designer peut ainsi devenir le sujet de recherche pour mieux comprendre, par exemple, la place de l’utilisateur dans son processus de conception.
Une ergonome, ethnométhodologue, propose une approche pionnière. Intégrée pendant quatre années à une équipe de designers dans une jeune agence et mettant en œuvre sa pratique d’ergonome orientée conception, elle observe jour après jour, dans un premier temps elle-même et sa pratique d’ergonome, puis celle des designers, pour au final observer les pratiques communes de l’ensemble des membres de l’agence, afin de faire émerger des ethnométhodes originales aboutissant à une lecture pertinente des activités de design.

agence de design, ethno méthodologie, design centré utilisateur, allant-de-soi.


Le design a souvent été considéré comme une activité pratique plus que théorique. Les divers enseignements, spécifiquement en France, forment les jeunes étudiants à un métier, cultivant leur faculté à conceptualiser et à représenter jusqu'à concevoir des objets, des produits, ou des services en utilisant les outils du design que sont les dessins, les roughs, et les logiciels de traitement de l'image ou de conception. Les étudiants en design sont souvent des individus attirés par le monde des produits et des objets, de l'art graphique et de la conception se sentant investis d’une mission humanitaire ; des personnes revendiquant l’expertise de la synthèse, du passage brief à l’objet, mais du coup semblant avoir finalement quelque peu de mal à se positionner entre plusieurs disciplines, telles que l'ingénierie et la conception d’objets, les arts appliqués. Une posture de praticien est adoptée au fur et à mesure des formations, posture éloignée de celle du chercheur, mais qui aujourd’hui ne semble plus suffisante. Le designer représente un métier relativement récent, mais qui a connu rapidement une large diffusion. Le design a été connu et reconnu grâce à des designers devenus célèbres via des objets remarquables et remarqués par leur juste équilibre. De nombreuses agences de design ont vu le jour, basant leur activité sur les besoins de renouvellement, d'innovation de grandes sociétés, et la capacité de leurs membres à concevoir et diffuser de nouveaux objets aux formes reconnaissables. Le design s'est ainsi développé notamment dans le contexte particulier des agences, domaine de pratique du design au centre du terrain éthnométhodologique dont nous nous servons dans cette communication pour rendre compte d'un point de vue sur le design et surtout sur les designers en activité. Le designer est rarement seul à travailler sur un projet de conception. Il est missionné par un commanditaire, un "client" dans le langage des agences. C'est avec lui que sont décidés les axes de recherche et d'innovation ; c'est lui aussi qui juge la production des designers, qui sélectionnera les propositions émises et les fera éventuellement vivre en tant que produits puis en tant qu'objets. Le marché du design en France n'est plus aussi florissant qu'il a pu l'être il y a quelques dizaines d'années. La concurrence entre agences nécessite une spécialisation ou l'utilisation de nouveaux leviers d'innovation. Ainsi, au coeur de sa pratique, le designer est de plus en plus en contact avec d'autres métiers qui viennent compléter ses savoirs et savoir-faire dans le cadre des projets d'innovation.

Des questions se posent aujourd’hui, qui semblaient régler à l’origine par le Basic Design du Bauhaus, relevant de la connaissance « générique » du designer. De nouvelles questions liées aux aspects collaboratifs du travail du designers se font jour. Quels sont les rapports et les évolutions du design avec d’autres disciplines telles que l’architecture, l’urbanisme, les arts, les sciences de l’ingénieur, les sciences de gestion et du management, et les sciences humaines et sociales ? Ces métiers peuvent être des partenaires potentiels des designers dans le cadre des projets. Le design se doit en effet de ménager une place à ces disciplines et métiers qui peuvent avoir tant à partager avec eux. Mais quels peuvent être les chemins d'étude permettant au design de mieux se connaître, de se faire mieux connaître de ses partenaires potentiels ? Où situer le design parmi ces autres disciplines qui paraissent encore elles-mêmes peu stabilisés, notamment l'apport des sciences humaines et sociales, dans le contexte particulier de la conception de produits?



Dispositifs narratifs et constitution du sujet :l’utilisation de l’enquête de terrain dans les projets prospectifs de Philips

Jean Schneider
Chargé de projet, APCI (Agence pour la Promotion de la Création Industrielle)


On assiste depuis une petite décennie à un engouement pour les approches « ethnographiques » de l’usage au bénéfice de la conception, voire de la co-conception, de produits innovants et de services.
Cet article s’attache à identifier quel type de sujet est constitué et représenté dans les projets prospectifs (Next Simplicity, 2005 ; The Simplicity event, 2006, Philips), et sous quelle(s) manière(s). L’analyse des outils de structuration ainsi que la déconstruction du discours accompagnant les projets conçus permet de discuter des limites du passage de méthodes d’observations à des méthodes de conception.

Design, innovation, ethnographie, usage.


Un intérêt accru pour l’observation de l’activité « ordinaire » des utilisateurs d’artefacts (logiciels, objets…) est apparu dans les années 80, autour notamment, des travaux de Lucy Suchman. Confinée dans un premier temps à l’ergonomie des logiciels, cette approche a progressivement percolé dans la pratique plus générale du design, notamment à la suite du regain de considération, au même moment, pour une approche sémiologique des formes (« Product semantics »). Finalement, quelques agences (Sonic Rim, Ideo…) se sont spécialisées dans le développement de cadres de travail spécifiques à l'usage des objets et ont élaborées des outils et des méthodes d’observations de plus en plus imités.

La division Design de Philips a, dès les années 90, commencé à s’approprier ces approches en recrutant des anthropogues, des sociologues et en suscitant par ailleurs des projets prospectifs (notamment « visions of the future »1995/96 ; « next simplicity » 2005, « the simplicity event » 2006). Ces projets ont des finalités internes à l’entreprise —qui ne sont pas étudiées ici— et servent aussi à déployer, par le biais d’expositions et de publications, un discours vers plusieurs publics. L’analyse des ouvrages accompagnant les deux derniers projets fait l’objet de cet article.
Ces documents, dans lesquels la mise en scène de l’usage est centrale, suivent une trajectoire en boucle, qui va d'un sujet initial, observé au plus près de son existence ordinaire, pour en faire le destinataire d'un nouvel objet. La question étudiée ici est la place relative des deux sujets : y a-t'il identité ou écart, et s'il y a écart, pourquoi ?

Le texte comporte trois parties : une présentation du matériau étudié et de ses fonctions, une description de la démarche décrite par Philips pour alimenter le processus de design prospectif. La troisième partie s'attachera à comparer la notion d'usage telle que mise en avant par Philips avec une sociologie de l’usage « non » biaisée. La confrontation de ces deux perspectives se fera essentiellement sur trois territoires : l’oikos et la technologie, l’espace domestique, le genre. En conclusion, la discussion portera sur les considérations méthodologiques, et la possibilité même pour des activités de design (ou de conception) de prendre en compte l’usage « réel » ou les pratiques, qui déterminent le sujet.

En Septembre 2004, le slogan « Sense and simplicity » a déterminé un nouveau positionnement stratégique de la marque Philips.

Le projet organisant et la dynamique des acteurs dans le projet d’aménagement : pour une pensée du projet « par » le design

Michel de Blois, Étudiant doctorant, Université de Montréal
Courriel : michel.de.blois@umontreal.ca
et
Pierre De Coninck, Ph. D., Professeur agrégé, Université de Montréal
Courriel : pierre.de.coninck@umontreal.ca


L’absence marquée des activités de conception visant la problématisation et l’exploration de ces possibles est une résultante de la persistance de cadres théoriques et méthodologiques dans lesquels baigne la conduite des projets. Une reconsidération des approches et des théories, organisationnelles et de conception, qui animent la conduite de projet, par le biais d’une « pensée par le design » (Design Thinking) est souhaitable. L’objectif consiste à étudier ce processus de design par la conduite du projet, et par extension la notion de projet organisant, par la pratique du projet. La procédure propose un assemblage de modèles existants sous la forme d’une boîte à outils pour la pensée par le design. La méthodologie de la recherche-projet et l’analyse qualitative sont privilégiées et articulées dans un exercice récursif. L’analyse en parallèle du projet et du protocole de mise en projet, apporte une contribution envers l’amélioration des protocoles destinés aux projets d’aménagement.

1. Le projet : intentions, organisation, finalités
« L’avenir n’est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n’a pas à le prévoir mais à le permettre. »
Saint-Exupéry

Le processus de design-construction (Bibby 2003; POT 2005), pris comme exemple de la complexité de la dynamique des acteurs au sein des organisations tout comme de celle dans la conduite de projet, démontre que, dans la pratique, l’acteur n’est pas considéré comme « donnée du projet », ni comme moteur du déroulement. Une approche par le design – management by design (Bolland & Collopy, 2004) – se propose de constituer une fenêtre sur le projet et d’en exposer une compréhension qui redistribue les enjeux des acteurs, portés par leurs intentions, à travers la « conduite de projet » qui s’opère, elle aussi, par le design (Findeli et Bousbaci, 2005; Nelson & Stölterman, 2003)
Une articulation des principaux enjeux de la conduite de projet – intention, organisation, finalité – effectuée à l’aide des théories et concepts qui composent cette conduite permet de mettre en lumière le rôle de l’acteur, d’une part, et les concepts d’organisation en relation au projet, d’autre part (Crozier et Friedberg, 1977; Mintzberg, 1979, 1983, 1989; Boutinet, 1990, 2005). Le projet de l’environnement construit est ici considéré comme étant un amalgame d’ensembles organisationnels et de projets de développement; le tout animé par une dynamique d’acteurs.

La présente recherche prend donc pour objet le projet; le projet formalisé par l’organisation dynamique des acteurs – le construit d’action collective. La recherche tente aussi de faire une distinction importante entre, d’une part, les « organisations en projets » et, d’autre part, les « projets organisants ». Pour ce faire, la mise en projet et le déterminisme, les intentions et les finalités servent les arguments du questionnement proposé.

Selon Crozier et Friedberg (1977), les projets sont en fait des construits d’action collective. La structuration des champs qu’ils instituent sont ces médiations inéluctables entre les fins que nous poursuivons, d’une part, et les « moyens » humains que nous sommes obligés d’employer pour les atteindre, d’autre part. À cet effet, une place importante est réservée à la gestion de l’incertitude et du non prévisible. La nécessité de confronter certains antagonismes – projets individuels, projets organisationnels – laisse donc beaucoup de place à l’exploration de ce laissé pour compte. L’appréhension de l’incertitude s’inscrit en opposition à la gestion du risque qui, elle, est abordée par les sciences plus traditionnelles de la gestion et des probabilités.

Le designer-concepteur doit ainsi pouvoir composer avec le contexte immédiat dans lequel s’insère son action. À cet effet, Gray et Hughes (2001) confirment que la complexité du processus de design-construction, couplée à l'incertitude relative à la nature itérative de l’activité de design nécessitent des efforts significatifs de gestion pour la réussite des projets. C’est pourquoi un volet important de ce contexte est représenté par les structures organisationnelles et procédurales; lesquelles limitent le rayon d’action du concepteur. Ce contexte rigide est mal adapté à l’activité de conception; activité que l’on peine encore à comprendre de surcroît (Kharu & Lahdenpera, 1999).

Le design demeure encore simplement un outil mis au service de l’atteinte d’objectifs organisationnels traditionnels, dont ceux reliés au rendement. Alors, si la conduite de projet est, en effet, une activité de design, pourquoi le projet, dans la pratique, est-il encore perçu principalement comme étant une activité de gestion?

Cette pratique du design et de la conduite de projet est aussi étudiée du point de vue des positions respectives de ses acteurs – positions disciplinaires, d’intentions et de rôles – d’une part, et des concepts d’organisations et des structures organisationnelles du projet, d’autre part.

La plupart des praticiens et des chercheurs se rejoignent sur le fait qu’une coopération élargie est nécessaire entre les disciplines. La multidisciplinarité est appelée à évoluer vers une transdisciplinarité mais peu d’acteurs peuvent s’entendre sur une définition de ce que représente une vision globale, de même, peu de praticiens saisissent les mécanismes qui favorisent l’émergence initiée par cette posture transdisciplinaire (De Coninck, 1996).
C’est par des constats de déficiences, ou « d’effets pervers », qu’apparaît la nécessité de repenser certains processus régissant la pratique. Il convient donc de réintroduire dans le processus cette pensée réflexive – réflexion en action – afin de bonifier la conception en amont, en cours et en aval du projet (Findeli et Bousbaci, 2005), par la considération des dimensions laissées pour compte dans un processus standard.

2. Les notions d’organisation dans le projet

Les typologies organisationnelles ne sont pas immuables, et rares sont les organisations qui n’appartiennent qu’à une seule catégorie. Aussi, certaines d’entre elles présentent des anomalies; elles possèdent les caractéristiques d’une configuration tout en étant aussi ancrée dans une autre typologie. Ces anomalies mènent à l’exploration des forces internes à l’organisation qui conditionnent ces configurations. À l’aide des schémas types, il est possible de modéliser ces forces à l’intérieur d’une organisation. Aussi il conviendrait, avant d’entrevoir et de concevoir les organisations, de « traiter autant les formes que les forces » (Mintzberg, 1990, p.171). Le « pentagone intégré » (opus cit., p. 372) met en relations les forces prédominantes qui émergent pour chaque configuration type, permettant d’en articuler les formes. Cette articulation débouche ensuite sur une modélisation inter-organisationnelle recherchée en situation de projet complexe.
À l’inverse, en partant des objectifs pressentis d’un projet, et déterminés en fonction de critères spécifiques – comme, par exemple, opérationnels, stratégiques, économiques, sociaux – à l’aide de méthodes et de modèles, tels la méthodologie des systèmes souples (SSM), l’«Éclipse de l’Objet» (Findeli et Bousbaci, 2005) ou la «Rose des Vents» (Boutinet, 2004), il est possible d’identifier les forces ou une combinaison de ces forces nécessaires à l’atteinte de ces objectifs et ainsi d’identifier les configurations organisationnelles les plus adéquates qui s’imposent pour remplir la tâche.

Aussi convient-il de considérer ces deux aspects, celui d’organisation-structurante et de fonction-organisante. « Modéliser un système, un système complexe, c’est d’abord modéliser un système d’actions » (Le Moigne, 1990).
L'organisation est donc une propriété clef de tout système (Le Moigne, 1990; Morin, 1977). Sans organisation, il n'y a que chaos (situation de haute entropie). L'organisation se manifeste par le fait que tout système peut être décomposé en un certain nombre de sous-systèmes, soit en modules et niveaux. L’approche organisationnelle de Mintzberg (1979, pp. 35-64) démontre bien la variété de ces sous-systèmes – systèmes de communication formelle et informelle, d’autorité, de jeux d’acteurs, de production – présents à l’intérieur des organisations. Ces sous-systèmes sont, par la suite, transposés partiellement à l’intérieur de systèmes organisant, comme les projets, pour former des systèmes de systèmes.

3. Le projet organisant

Il convient d’insister sur la nécessité d’identifier et de comprendre ces actions « organisantes » et « finalisantes », celles que l’on retrouve tant dans l’acte de conception qu’au sein du projet organisant. Car concevoir le projet et l’organisation constitue les deux faces d’un même concept. Un projet s’organise et il organise; l’organisation projette et se projette. Le projet relie les idées, les intentions les visées, les acteurs, il produit du projet et des objets et il se maintient dans l’accomplissement; tout comme l’organisation qui opère cette conjonction intelligible des acteurs et de l’action.

4. Les rôles de l’acteur

Le dilemme est de taille car pour faire valoir son point de vue, l’acteur doit pouvoir, soit insérer ses intentions dans la structure et les normes en place, soit parvenir à les modifier. Le détenteur de pouvoir peut facilement justifier une position en évoquant justement cette structure et ces normes. Triples en-jeux que ceux de l’organisation, du projet et de l’individu-acteur, et triple postures de l’acteur (a, a’ et a ‘’).

Il ressort aussi que les organisations sont encore perçues, analysées et étudiées en vase clos, comme des entités autonomes et isolées. Les interactions entre les différents types d’organisations au sein des projets de l’environnement construit sont peu abordées ni même considérées, si ce n’est sous forme d’organigramme qui en dit peu sur la complexité du système et des interactions. Il s’avère aussi que la modélisation du rôle de l’acteur – dont l’aspect dynamique – est très complexe et que les méthodologies et les modèles conventionnels actuels employés pour la conduite des projets par les

Le concept du « projet-organisant » demeure embryonnaire et ne pourra se préciser qu’en attaquant des sujets que l’on peut qualifier de « wicked problems » (Simon, 1947; Rittel & Webber, 1973). Les plus évidents englobent les suivants. Il faut rechercher une meilleure compréhension du rôle de l’acteur, porteur de projets individuels. Cette compréhension exige une modélisation plus « réaliste » de la dynamique intra- et inter-organisationnelles – les typologies organisationnelles du projet – par le concept des forces et formes. L’élaboration d’un protocole et la formulation d’une approche par le design, par la mise à l’essai des modèles pressentis, dont ceux qui prônent une approche par le tout. Définir une vision et une conduite interdisciplinaire qui doit s’ancrer dans la pratique du projet. Militer pour une meilleure pondération des pouvoirs disciplinaires et l’inclusion dans le cercle de prise de décision les disciplines non gardées.

À la base de ce programme, qui anticipe une conciliation entre gestion et design, il est nécessaire d’entrevoir une reformulation de la « syntaxe » du management en regard de la gestion de projet et du design-management, et à l’inverse, celle du design pour le management, sans quoi une posture interdisciplinaire n’est pas envisageable.

Représentations et redesign de formes

Jean-Pierre Mathieu, Jean-François Petiot

Dans cet article, notre objectif est de montrer que la mise en œuvre de l’analyse lexicale par contexte permet notamment l’identification des représentations des utilisateurutilisateurs et les associations de celles-ci avec le design d’un produit. Après un bref rappel des principes de l’analyse lexicale par contexte, nous présenterons l’enquête destinée à recueillir des verbalisations sur des faces avant de voitures. Les principaux résultats liés à l’analyse de ces verbalisations seront ensuite discutés, en mettant en perspective leur intérêt pour le design ou le redesign de formes.

1. Pré requis : l’analyse lexicale par contexte

L’analyse lexicale par contexte a fait l’objet de nombreuses recherches théoriques (De Saussure, 1972) et pratiques (Benzecri, 1973). Avant de présenter son application au design des faces avant de voitures et les résultats obtenus, nous décrivons maintenant les principes théoriques ainsi que les principales étapes de cettede cette analyse.
L’analyse lexicale par contexte vise « non pas à comparer des textes a priori différents, mais à analyser la structure des distributions dans un corpus donné ». Elle se différencie par rapport aux méthodes classiques par la recherche des registres d’expression que l’individu utilise pour verbaliser sa pensée.
La verbalisation prend ainsi une approche référentielle dans une optique de communication interindividuelle où se construit un point de vue. C’est donc au niveau sémantique que se dessine cette approche qui est constituée des 3 étapes suivantes (table 1).

________________________________________________________
ETAPE 1 : Préparation des données - Standardisation du vocabulaire
- Recherche des mots (ou lexèmes)
- Définition des énoncés ou unités de contexte
- Construction de tableaux de données
______________________________________________________________
ETAPE 2 : La Classification - Recherche des classes caractéristiques
- Description des classes
______________________________________________________________
ETAPE 3 : L’aide à l’interprétation - Relevé du vocabulaire spécifique
- Extraction des unités de contextes
________________________________________________________

ETAPE 1 : La préparation des données
  • on reconnaît les mots outils à l’aide d’un dictionnaire (articles, prépositions, conjonctions, pronoms, auxiliaires être ou avoir) et on les référence comme mots illustratifs
  • à partir d’un autre dictionnaire, on reconnaît les formes associées aux principaux verbes irréguliers et on procède à leur réduction,
  • Sur les formes restantes, on applique un algorithme de reconnaissance automatique des lexèmes, qui consiste à analyser pour les familles de formes commençant par la même séquence de lettres, si les terminaisons sont des désinences reconnues (à l’aide d’un dictionnaire) et, dans le cas où elles le seraient, à les réduire (par exemple, il va rassembler les formes « cache », « cachées », « cachaient » sous le même radical «cach+er » dont la fréquence sera prise en compte. Ceci constitue la définition des formes réduites.
ETAPE 2 : La classification

Une fois le découpage du corpus en unités de contexte élémentaire (U.C.E) et la reconnaissance des formes réduites effectués, plusieurs tableaux de données sont préparés. Ils croisent unités de contexte et formes réduites. Les formes réduites retenues sont réparties en deux classes : les formes réduites analysables qui seront utilisées pour définir les classes d’unités de contexte (UC) et les formes illustratives qui serviront uniquement à la description des classes obtenues.

ETAPE 3 : L’aide à l’interprétation des classes

La procédure utilisée pour l’approche du champ contextuel consiste, dans un premier temps, à regrouper le vocabulaire dans des classes associatives. Si cette procédure s’apparente nettement avec la manière dont on construit un champ lexical, elle en diffère par le fait essentiel que ces associations n’ont pas de sens « absolu », mais relativement à un champ contextuel particulier (dépendant d’une classe d’énoncés particulière à l’intérieur d’un corpus précis), dont le vocabulaire est fixé préalablement à l’aide d’une analyse statistique.
Pour une représentation plus schématique de la structure du vocabulaire, une analyse factorielle des correspondances est réalisée sur le tableau croisant les classes obtenues avec le vocabulaire. On peut ainsi observer les formes les plus spécifiques de chaque classe, en opposition sur un même graphique.

2. Etude de cas : verbalisation sur des faces avant de voiture

Chaque sujet devait répondre aux 4 questions suivantes :
1-Qu’est ce que cette face avant de voiture évoque pour vous ?
2-Quelles sont pour vous ses formes caractéristiques et principales ?
3-Existe-t-il des formes qu’il ne faut pas changer ? Si "oui" lesquelles ?
4-Pour l’ensemble des formes de cette face avant, quelles sont celles sur lesquelles il serait possible d’envisager des changements (innovation) ?

Intérêt de l’analyse pour le design

L’analyse lexicale permet donc une modélisation statistique du corpus (les verbalisations des utilisateurs) qui peut être ensuite interprétée directement par le designer pour mieux appréhender les représentations des formes d’un objet du point de vue sémantique, tel que cela se réalise déjà en marketing concernant le représentation des produits par les consommateurs (Mathieu, 2002). Dans ce sens, les principaux apports en design industriel sont les suivants :

1-Identifier les classes sémantiques propres à un ensemble de produits (décrites par le contenu -termes représentatifs de ces classes – indice de représentativité des termes),
2-Etablir une correspondance des classes avec les variables externes caractérisant les sujets (âge, milieu socio professionnel, etc.) et avec certains attributs liés aux produits (formes, couleurs, …).

A partir de tous les éléments structurant les verbalisations des consommateurs, le designer pourra plus facilement intervenir sur les formes les plus signifiantes du produit, afin :

1-d’identifier des tendances latentes d’évolution d’un produit,
2-de mieux comprendre les liens implicites entre la sémantique produit et ses caractéristiques,
3-de ne travailler que sur certaines formes,
4-de mieux percevoir les différentes représentations de l’objet.

Cet article montre une voie de recherche intéressante et à notre connaissance nouvelle en design industriel, par l’exploitation des verbalisations d’utilisateurs sur des questions ouvertes.

Experimenter l'automobile : une approche sémiotique de l'émergence du sujet sémiotique à partir de l'interacton sujet-objet

Xochitl Arias Gonzalez, Centre de Recherches Sémiotiques Université de Limoges

Nous allons explorer la possibilité d’établir un principe de pertinence pour l’interprétation de l’interaction sujet–objet à travers la gestualité, dans la mesure où c’est par le geste que l’univers du sujet se met en contact avec celui de l’objet. Pour ce faire, notre article met en rapport trois postulat fondamentaux de la sémiotique greimassienne : la générativité, et la prise en compte de l’expérience sensible comme le substrat de la construction sémiotique (Greimas, 1987) ; plus précisément, la conception du corps sensible comme un médiateur sémiotique entre soi et le monde (Fontanille, 2004). Nous allons articuler ces principes dans l’analyse du rapport entre l’automobile et le conducteur.


1. L’automobile, parangon du design
1.1 Les liens entre le design et l’automobile sont d’origine
Quelle que soit la perspective que l’on adopte, l’automobile se présente comme un parangon pour la recherche sur le design. Elle illustre à la perfection, en effet, la tension existant entre fonction économique, esthétique et technique inhérente à cette activité créative.
En ce qui concerne la tension économique, l’automobile est un secteur que l’on pourrait qualifier de « conservateur », dans la mesure où les seules innovations technologiques qu’il encourage sont celles commandées par la logique économique globale (Chanaron et Lung, 1994 : 27).
En somme, la prééminence de la contrainte économique pour le design automobile a conduit ces dernières années à un retournement de situation qui est du plus grand intérêt pour notre réflexion sur l’usager dans le design.

1.2 L’usager est de retour dans la conception automobile
Le secteur automobile souffre aujourd’hui de sa condition emblématique dans le modèle économique ; en effet, s’il emploie autour de 10% de la population active dans les pays industrialisés, son activité économique est rendue difficile par un environnement hyperconcurrentiel, la saturation des marchés, sa dépendance vis à vis des matières premières… L’importance de l’innovation dans la conception de l’automobile, la place centrale qu’elle donne aujourd’hui à son usager et le rapport qu’elle garde entre l’amélioration de la fonction technique et le développement de la fonction esthétique (apparemment disloquées l’une de l’autre) font , tout compte fait, de l’automobile un objet d’étude inévitable pour la recherche dans le design, dans la mesure où son destin pourrait être aussi celui d’une certaine forme de faire le design.

2. L’usager conducteur et son discours : l’approche fictionnelle de la sémiotique textuelle

Les récits de conduite des conducteurs sont très parlants en ce qui concerne l’habitacle et, par ce biais, sur la fonction de l’objet. L’architecture intérieure de l’automobile devient ainsi le lieu où l’objet manifeste un caractère d’objet non plus statutaire, mais transitionnel.
Dans l’habitacle, la voiture est un lieu de passage. Non seulement d’un lieu à un autre, mais aussi d’une forme de vie à une autre. Dans le récit de conduite, le temps /du travail/ s’oppose au temps des /vacances/, et des /loisirs/. Plus encore, le /jour/ s’y oppose à la /nuit/, la voiture fait passer l’usager du /silence/ au /bruit/, de /la solitude/ à /la convivialité/ ou à l’inverse, selon les préférences de chacun. C’est donc dans l’habitacle que s’active la fonction réflexive de l’usager et c’est là que l’automobile peut devenir le véhicule de ce que Barthes avait jadis appelé un mythe (1957).

2.3 La voiture comme système semi-symbolique

La fonction de prothèse que représente la voiture ne peut donc que se diversifier en fonction d’un système de valeurs spécifique. D’un côté, le « design » automobile abrite les valeurs collectives (le statut social, la valeur marchande, les âges de la vie…). De l’autre, l’habitacle est le véhicule de la rêverie la plus intime (les désirs, les rêves, la peur). La forme extérieure de la voiture exprime un savoir–faire par rapport à la norme sociale (ou devoir–faire), alors que sa forme intérieure dit son pouvoir-faire relativement à un vouloir–faire individuel.

Les systèmes semi-symboliques construisent leur sens non pas en articulant un contenu à un signe (relation appelée « terme à terme »), mais à quelque chose de plus abstrait (relation « entre catégories »).La corrélation existant entre les systèmes de valeurs que sous-tendent l’habitacle et la ligne extérieure de la voiture « prouveraient » que la voiture est un objet signifiant.

3. Passer des mots aux actes, une approche « expérimentale » de la conduite

En somme, pour la vision sémiotique, le corps du sujet est un médiateur qui interprète le monde en s’y projetant. Chaque expérience de l’objet, considérée du point de vue ponctuel du contact sensible, est une interaction dans ce sens où elle « génère » une interprétation de Soi comme acteur dans le monde (Fontanille 2004). L’expérience de l’objet peut donc être entendue comme « expérience d’Autrui » (Merleau-Ponty 1988). Le contact avec le monde fournit au sujet de l’action (dans ce cas, l’usager) une idée de sa propre situation. Lorsque le corps du sujet opère cette réflexion, on dit en sémiotique qu’il y a embrayage. Au contraire, lorsque le monde perçu demeure étranger, on parle de débrayage (Greimas et Courtés 1979, Floch 1982).
C’est à l’aide de ces deux concepts majeurs, générativité et embrayage, que nous avons traité la question suggérée par les organisateurs de cette réunion sur l’émergence de la figure du sujet–usager. Résumons la position de la sémiotique greimassienne en précisant que, pour elle, les figures de l’usager ne sont pas données, ni préexistantes à l’usage ou simplement construites… elles sont liées à l’expérience.

Une fois dans l’habitacle, nous assistons à l’émergence d’une forme de segmentation du sensible qui ne rentre pas dans les catégories eidétiques (/englobé/ vs /englobant/) ni optiques (opacité, brillance, couleur… ). Le segment de la surface vitrée s’oppose en effet au reste de l’espace perçu en cela que les objets qu’il contient sont en mouvement. Lors de la conduite, l’objet perçu est différent à chaque instant (par exemple, en termes de position): quand on conduit, on voit /défiler/ le paysage, la route /être engloutie/, le monde /disparaître/ derrière soi. Ce qui « apparaissait » devant les yeux « disparaît » pour réapparaître latéralement puis se réduit au seul contenu du sous‑objet /rétroviseur/. Non seulement les objets en mouvement sont, mais aussi ils font ; leur statut positionnel est donc complexe : une action est décomposée générativement comme un état 1 suivi d’un état 2,... C’est ainsi que le mouvement présuppose la transformation.
Une deuxième forme de catégorisation temporelle est donnée par le tempo du mouvement. Certains « objets‑partie » ou sous-objets de l’habitacle expérimentent aussi des mouvements : le corps du sujet‑conducteur et celui des sujets‑passagers, les commandes du tableau de bord, voire les charges du coffre. Cependant, ces mouvements, tout en étant des « transformations » de l’état des objets, n’ont pas le même statut que ceux des objets « contenus » dans la surface vitrée : les objets « débrayés » ont une existence très rapide pour l’appareil perceptif du sujet. Celui-ci voit des formes naître, croître et disparaître en quelques secondes. Les transformations des objets embrayés s’intègrent en revanche au temps général du transport, c’est pourquoi par rapport aux mouvements de l’extérieur elles ont lieu dans un tempo « lent ». Dans la voiture, le sujet ne peut pas saisir l’enchaînement (ou la continuité) de ces mouvements ni les limites de cet espace temporel, de la même manière qu’il ne peut pas saisir les objets mouvants débrayés en discontinu. La continuité perçue des objets mouvants débrayés fait de leurs « transformations » un récit. L’action d’usage comprend, par la perception du temps, une dimension narrative.

3.3 L’ articulation des valeurs de la sensorimotricité et la résonance des formes

Des phrases aussi courantes que « aller d’un point à A à un point B » comme fonction de l’automobile pour les usagers utilitaristes désengagés, la recherche d’une assise qui permette de se sentir « comme dans son canapé devant la télé » pour les usagers hédonistes ou « faire corps avec la voiture » comme synthèse des sensations de conduite pour les usagers experts, deviennent ainsi la partie visible d’un parcours d’appropriation de la conduite construit sur la base de l’expérience sensorielle de l’objet. à chacune des positions correspond un niveau d’appropriation , le plus bas étant celui qui prend l’automobile (objet) comme un outil et le plus haut celui qui fait de la voiture un véritable interlocuteur. Entre ces positions extrêmes, toutes les nuances trouvent une place, mais on peut présenter quatre logiques d’appropriation sur la base d’une valeur centrale fonctionnant comme un système logique